Alors comme ça, tu vas vraiment fusiller ta carrière en écrivant sur les psychédéliques ?
Même si je ne l’ai jamais considéré comme tel, force est de constater que oui, le sujet est plutôt sulfureux.
Disons le : les psychédéliques ne sont pas exactement le sujet le plus aisé à aborder en repas de famille, ou encore moins en rendez-vous professionnel. J’entends par là qu’il ne s’agit pas forcément de la meilleure accroche en démarrage de processus de levée de fonds, ou encore le thème le plus naturel à aborder en podcast (n’en déplaise à Alexandre, co-auteur de Salve, qui lui en a parlé pendant quasi plus d’une heure ici).
Le sujet risque au mieux de surprendre, d’étonner voire de carrément choquer, générant roulements d’yeux et jugement chez votre auditoire.
“Hippie”, “toxicomane”, “illuminé.e”... Vous aurez peut être même la chance d’écoper d’un de ces noms d’oiseaux, jeté du fond de la table par votre grand oncle un peu réactionnaire.
Reprenons toutefois froidement les faits : pourquoi ce sujet est-il donc si tabou ?
Commençons par le commencement : la majorité des substances psychédéliques - notamment la psilocybine (la substance active dans les “champignons magiques”) - sont illégales en France.
A vrai dire, ces dernières ont même eu la prouesse de mettre quasi tout le monde (au sens strict) d’accord, puisqu’elles figurent sur le Tableau de la Convention sur les substances psychotropes de 1971 des Nations Unies. Intéressant de voir qu’il existe des sujets capables de générer un cadre supra national unifié en quelques mois.
Nous pouvons d’ailleurs regretter (ou rire jaune) d’être plus capables d’obtenir un consensus international autour du combat contre les psychédéliques que contre le réchauffement climatique.
Mais je divague, cela n’a probablement rien à voir. Et puis, l’un des sujets devait être urgent, l’autre moins. Ah non, c’est même plutôt l’inverse. Laissons cette réflexion ici, suspendue : food for thought chers lecteurs. Mais n’a t’on pas le droit de s’interroger, au moins un peu, sur ce monde qui se lève comme un seul homme pour empêcher une jeunesse de danser, mais qui reste coi face à un monde qui brûle… A qui profite le crime, et à qui dessert la danse ?
Sans verser dans une réflexion toute droit sortie d’une barricade dans un blocage de lycée, cette newsletter a aussi pour visée de poser ce type de questions, que l’étude de l’histoire des psychédéliques nous amène naturellement à nous poser. Nous ne vous donnerons toutefois jamais les réponses : ça, c’est votre partie à vous du chemin.
Revenons néanmoins à notre question initiale. Pour beaucoup, les paragraphes précédents sont suffisants pour clore tout débat, et encore plus pour justifier qu’écrire cette newsletter soit une très mauvaise idée.
Illégal = dangereux = il doit y avoir une bonne raison pour cela.
Mathématique. CQFD.
Toutefois, il convient de mettre à profit le sens critique si cher à notre bel esprit français pour apporter quelques perspectives complémentaires.
Commençons par une question naïve ? A votre avis, quelle substance arrive en tête du triste palmarès des drogues les plus dangereuses ?
Roulements de tambour…
A la surprise générale, une très sérieuse étude de la Global Commission on Drugs révèle qu’il s’agit de… l’alcool.
Au pays où un bon repas ne se conçoit pas sans une belle bouteille de vin, force est de constater que l’on tient là une vérité qui dérange.
La fin du classement a également quelque chose d’étonnant. N’est-il pas surprenant de découvrir en fin de peloton des substances comme le LSD, l’Ecstasy (ou MDMA) ou encore les champignons, que l’on s’est pourtant attachés à diaboliser depuis plus de 50 ans ?
Le Professeur Nutt, neuropsychopharmacologue et pendant longtemps principal conseiller du gouvernement britannique sur les thématiques liées aux drogues, avait d’ailleurs choqué le pays en affirmant que “prendre du LSD ou de l’ecstasy n’était factuellement pas plus dangereux que de monter à cheval”.
Etant moi même cavalière assidue depuis plus de 27 ans et montant à cheval ⅚ fois par semaine, cette statistique ne pouvait que m’interpeller. Je ne suis pas certaine de ce que diraient mes proches si je leur disais que j’allais faire une session de champignons magiques 5 fois par semaine…
Je vous invite à considérer cette étude comme le point de départ d’une réflexion, et non comme un prêt à penser. Elle présente évidemment (comme toute étude) des biais : certaines substances (l’alcool notamment) étant beaucoup plus facilement disponibles que d’autres, il est probable qu’elles soient un choix facile pour les comportements abusifs.
Mais, on pourrait aussi s’interroger sur les résultats qu’aurait pareille étude dans un monde où l’on éduquerait davantage les usagers aux comportements à respecter en utilisant les substances mentionnées dans le bas du tableau… Force est de constater qu’il est à date plus facile de savoir comment boire que comment consommer du LSD, et pourtant une pratique blesse plus que l’autre…
Plus que tout, et sans viser une quelconque incitation, ces faits démontrent la puissance de l’imaginaire collectif diabolisé que cinquante années de War on Drugs ont façonné autour des psychédéliques, par delà leur dangerosité réelle.
À bien y regarder, notre peur des psychédéliques a probablement étrangement plus à voir avec la géopolitique des années 70 - la guerre du Vietnam, Nixon, the Summer of Love entre autres - qu’avec un risque réel pour nos vies.
En effet, force est de constater la forte synchronicité entre des événements comme la Guerre du Vietnam, qui s’accomodait mal d’une jeunesse libérée et de fait beaucoup moins mobilisable, et le fort mouvement de répression observé contre les psychédéliques dans les années 70.
La majorité des images de prévention avec lesquelles nous avons grandi datent d’ailleurs de cette époque. J’ai ainsi souvent entendu dans mon enfance que “les personnes se jetaient des balcons sous LSD” (fait très peu vérifiable si l’on analyse les statistiques d’admission aux urgences), “rumeur” véhiculée allègrement sur les plateaux TVs de l’époque.
Mais, me direz vous, est ce vraiment si grave ? Après tout, le monde peut très bien fonctionner sans psychédéliques. Pourquoi remettre en question ce point, dans un monde où les problématiques sont sans cesse plus nombreuses ?
Ecrire sur les psychédéliques : n’est ce donc là qu’une problématique de bobo en quête de paradis artificiels ?
On pourrait commencer cette réflexion en rappelant que la recherche révèle la présence quasi systématique des psychédéliques dans l’histoire des civilisations. Des mayas aux druides bretons, nos coutumes et rituels ancestraux regorgent de recours aux psychédéliques, qu’il s’agisse d’un médium pour entrer en contact avec les dieux ou d’une cure pour soigner les esprits malades.
C’est sur ce dernier point que je souhaite m’attarder. Ce qui m’intéresse aujourd’hui dans les psychédéliques est moins leur dimension mystique que leur lien à la santé mentale, si tant est d’ailleurs que les deux soient séparables (vaste sujet que ce dernier).
Si l’opinion publique a principalement retenu Woodstock et les hippies de l’histoire des psychédéliques des années 60/70, elle a dans un même mouvement occulté des années de recherche sur ces derniers.
En effet, si les psychédéliques proliféraient dans les fêtes et faisaient danser des humains aux cheveux longs, ils étaient aussi et surtout l’objet de recherches très prometteuses sur la santé mentale.
En effet, les laboratoires des plus prestigieuses universités, américaines notamment, regorgeaient de protocoles de tests - dont certains sont devenus célèbres comme le “Harvard Psilocybin Project” - portant sur des sujets aussi vastes que : le traitement de l’addiction (à l’alcool notamment), la dépression, le syndrome post traumatique, la maximisation de la créativité ou de la capacité à résoudre des problèmes complexes.
J’avais notamment été particulièrement marquée par une étude menée auprès de plusieurs ingénieurs, à qui on avait demandé d’apporter des problématiques complexes sur lesquels ils butaient depuis de nombreux mois. A l’issue d’une session de créativité assistée par du LSD, 100% des participants étaient parvenus à résoudre leurs problématiques. Je ne crois pas que la même expérience aurait été concluante si l’on avait troqué le LSD pour des shots de JaëgerMeister.
Si certaines ces études ne sont pas considérées recevables de nos jours pour des raisons méthodologiques (on a notamment beaucoup reproché à Timothy Leary, ex chercheur à Harvard, de consommer des psychédéliques pendant (!) ses expérimentations), de nombreux protocoles présentaient des résultats très encourageants.
Le vrai drame de la War on Drugs, outre son coût social et économique qui pourrait faire l’objet d’un article à part entière, est probablement d’avoir stoppé dans leur élan des recherches potentiellement à même d’adresser bien des enjeux de santé mentale du 21ème siècle.
En effet, en classifiant dans la liste 1 de la Convention sur les substances psychotropes de 1971 des Nations Unies la majorité des substances psychédéliques, cette dernière a scellé dans le marbre le fait qu’ils “présentaient un risque grave pour la santé publique et une faible valeur thérapeutique”.
Ceci complexifie très fortement l’accès à ces substances pour la recherche, et a dans un même mouvement tarit la majorité des financements disponibles par crainte de risque réputationnel.
Or, force est de constater que les problématiques adressées à l’époque sont encore malheureusement trop actuelles, entre autres parce que nous sommes loin d’avoir trouvé un remède efficace pour les adresser. J’en veux pour preuve une statistique de 2020 effrayante, qui montre qu’un américain sur dix est dépressif. Plus terrifiant encore : une femme sur quatre entre 40-59 ans est sous anti dépresseurs. Une statistique qui glace le sang…
Nous parlons ici de plus d’un demi siècle de “temps perdu”pour la recherche, et avec lui des millions de drames humains qui auraient si ce n’est pu être évités, du moins soulagés.
Mais l’espoir revient ! Force est de constater que le vent tourne.
Par un effet probablement conjoint de lobbying intense et de l’arrivée au pouvoir d’une génération qui a grandi avec les psychédéliques, nous assistons depuis une dizaine d’années à une dédiabolisation du sujet.
De par le monde, les faisceaux d'indices se multiplient en faveur d’une seconde révolution psychédélique :
Les recherches reprennent au Etats Unis, en Grande Bretagne, en Suisse et même en France !
Un mouvement de fonds de dépénalisation de certaines substances (notamment la psilocybine et l'ayahuasca) est en cours aux Etats Unis et au Canada. Je vous invite notamment à consulter le passionnant travail mené par l’organisation Decriminalize Nature, qui revendique le droit des populations à utiliser librement les plantes que la nature leur offre.
Autant d’informations à même de nous donner espoir, et de nous donner droit de penser que tôt ou tard, nous ne serons peut-être plus les “illuminés des repas de Noël”. C’est tout le mal que l’on nous souhaite.
Si cela vous a plu, n’hésitez pas à vous inscrire et, encore mieux, à partager cette lettre ! Vous pouvez aussi nous écrire, cela nous fera très plaisir et nous répondrons personnellement à chacun de vos mails !
PS :
Cette newsletter n’a pas la prétention de détenir la vérité, qu’elle soit spirituelle ou scientifique. Ce que vous lirez ici ne sont ni des conseils, ni des préconisations, ni des consignes immuables : pensez les plutôt comme les témoignages de pairs (qui vous veulent du bien).
Les substances psychédéliques, et notamment la psilocybine, que nous évoquerons ici appartiennent à la liste des stupéfiants en France. S’en procurer et en consommer est donc interdit par la loi et vous expose, comme toute activité illégale, à des sanctions.
Les informations que vous lirez ici ne sauraient AUCUNEMENT remplacer l’avis d’un médecin.