
Réponse courte, et 100% approuvée par les autorités : non*.
Réponse plus nuancée : non, mais la question mérite toutefois d’être examinée. Partons donc plutôt sur un “peut être”, voulez vous.
* Malheureusement, si l’on s’en réfère aux récents rapports du GIEC, ou à l’actuel conflit russo-ukrainien, je ne peux que rendre les armes. Il faudra a priori un peu plus que quelques funghis ou autres plantes, aussi magiques soient elles, pour stopper la course vers l’ornière politico-climatique vers laquelle nous galopons bride abattue.
Ne nous méprenons pas, il ne serait guère honnête, et encore moins décent, de claironner pareilles promesses trompeuses, bien au chaud derrière les lettres digitalisées cette newsletter.
Toutefois, outre le caractère honteusement “click bait” (“appât à clic”) de mon titre, laissez moi vous expliquer pourquoi la question peut a minima être posée.
Car s’ils ne peuvent pas changer le monde, les psychédéliques auraient peut être le potentiel de sauver des humains, en les sauvant de leurs propres mondes intérieurs.
Disons le franchement : l’humanité ne va pas bien.
En guise d’illustration, je vous propose les trois alarmants faits suivants :
Le suicide, dont le taux a augmenté de 60% depuis 45 ans, fait plus de morts que les guerres et les homicides réunis.
Symptôme de la détresse contemporaine, 70% des jeunes entre 16 et 25 ans souffrent d’éco anxiété.
Enfin, un français sur 4 a une prescription active pour des psychotropes. Vous avez bien lu, “psychotropes” (et non psychédéliques) : nous parlons bien ici de médicaments. Le triste classement de la consommation de nos concitoyens se décline ainsi (sources : sécurité sociale) : en tête, les anti anxiolytiques ou calmants (17,4% des français ont une prescription active), suivis par les antidépresseurs (9,7%), les hypnotiques ou somnifères (8,8%), puis les neuroleptiques (2,7%) et autres produits à base de lithium (0,1%).
Remarque au passage : si certains d’entre vous s’inquiètent de l’impact d’une potentielle dérégulation de l’accès aux psychédéliques comme celle que l’on observe actuellement aux Etats Unis ou au Canada dans notre pays, qu’ils soient “rassurés”.
Un quart de la population consomme d’ores et déjà très régulièrement des substances aux effets non négligeables sur leur conscience. Si l’on voulait jouer la carte de la provocation jusqu’au bout, on pourrait dire qu’un quart de la population est déjà “droguée”.
Je vois déjà les haussements de sourcils dans l’assemblée. Les faits précédemment énoncés génèrent en effet souvent deux courants de réaction.
Le premier revient à remettre en question la pertinence même du sujet de la santé mentale.
Indépendamment des faits énoncés ci dessus, force est de constater qu’il y a effectivement quelque chose de paradoxal dans ce constat. En effet, dans les économies développées en tout cas, nos vies n’ont jamais été aussi - du moins matériellement - confortables. La majorité des français n’a pas à se préoccuper de s’il pourra s’alimenter demain, ou de son intégrité physique immédiate.
De même, ou en tout cas jusqu’à la résurgence récente des conflits armés sur le sol européen, la plupart d’entre nous a peu de raisons de craindre pour sa vie, l’extrême violence ayant quasiment disparu de nos quotidiens. Par extrême violence, j’entends le risque récurrent et imminent de mourir d’une mort violente, comme ce fut le cas par exemple durant les nombreuses périodes de guerre qui ont jalonnées notre histoire.
Et pourtant, l’humanité va mal.
Allons nous même plus mal encore qu’autrefois ? Dur à dire, la comparaison historique étant difficile pour les profanes des sciences sociales et médicales que nous sommes. Si les premiers emplois du terme “dépression” en langage médical remontent au 18ème siècle, sa compréhension est très variable selon les époques, étant même “glamorisée” au XIXème siècle notamment par certains courants artistiques qui trouvent un charme à la “mélancolie”.
Et puis n'avait-on pas tout simplement d’autres chats à fouetter ? Ne nous sommes-nous pas affaiblis, fragilisés ? Ne sommes-nous pas devenus une version bas de gamme des hommes d’autrefois, les “vrais”, qui eux savaient faire autre chose que de se regarder inlassablement le nombril ?
Je préfère vous arrêter tout de suite.
Chaque époque a ses adeptes du “c’était mieux avant”. Il suffit de lire Virgile pour s’en rendre compte (ou de me faire confiance pour ceux qui sont passés à côté de la LV3 latin), lui qui déjà 70 ans avant JC s’attristait dans ses Géorgiques de la disparition d’un âge d’or au profit d’un âge d'airain. Chaque génération voue à sa manière un culte au passé, portant au pinacle des figures et des gestes qui eux-mêmes donnaient de l’urticaire aux aïeux de leurs héros.
Reste que dans notre cas présent cela revient à se tromper de combat : quand bien même une étude historique comparative venait à démontrer que oui, nos contemporains soient plus fragiles que leurs aïeuls, cela ne changerait rien au fait qu’ils aillent définitivement très mal.
Et puis, lorsque l’un de vos amis a des envies suicidaires, pensez vous vraiment que lui dire que “son grand père, lui, était fort” puisse l’aider ? Probablement que non. Pensons donc plutôt solution, voulez-vous.
C’est précisément en discutant solutions que la deuxième objection aux faits précédemment énoncés intervient en général.
En effet, pourquoi vouloir poser la prise de médicaments psychotropes comme une partie du problème, et non comme une solution ? Après tout, ne devrions nous pas nous réjouir de disposer d’un accès à ces médicaments, qui sont de plus accessibles au plus grand nombre car remboursés par la Sécurité Sociale ?
Si je ne saurais apporter une critique définitive sur ces substances, n’étant tout d’abord pas médecin et encore moins psychiatre, j’ai tout de moins en qualité de citoyenne la possibilité d’exprimer une opinion à leur sujet, et de poser quelques questions qui dérangent.
Je commencerai tout d’abord par quelques histoires personnelles. J’ai, comme beaucoup, dans mon entourage des proches secoués par la vie, à qui l’on a prescrit des anti anxiolytiques ou des antidépresseurs. En général, il s’agit de Lexomil, de Lorazepam ou de Xanax.
Curieux d’ailleurs de constater à quel point ces noms nous sont devenus familiers, même lorsque l’on n’en n’a jamais consommé. Ces médicaments sont en effet entrés dans la culture populaire, banalisés jusqu’à faire des apparitions dans la pop culture, où il n’est plus étrange d’entendre un personnage de série, souvent féminin, chercher frénétiquement un Xanax dans son sac à l’annonce d’une rupture.
Cela pourrait faire sourire si l’envers du décor n’en était pas moins inquiétant. Parmi mes proches, j’ai pu constater au moins deux types de comportements qui posaient question. Je n’oublierai jamais cette collègue qui, accro au Lexomil depuis plus de 5 ans à 23 ans (!), multipliait les ordonnances et les rondes dans les pharmacies de la ville pour combler sa peur de se “retrouver à sec”.
M’étant déjà retrouvée dans une situation de dépendance (à la cigarette dans mon cas, poison hautement addictif par ailleurs disponible en vente (très) libre), je ne pouvais qu’éprouver de la compassion à son égard, et au moins autant de suspicion pour le produit en question.
Aussi, j’ai pu constater dans l’échantillon qu’il m’a été donné l’occasion d’observer, outre quelques usages épisodiques dans le cas de chocs très violents (décès de proches, accidents…), une tendance à la consommation à long terme de ces produits. Je vous le dis franchement, j’ai tout simplement très peu d’exemples dans mon entourage de personnes qui ont effectivement arrêté leurs anti anxiolytiques ou leurs antidépresseurs.
Suis je tout simplement mal tombée ?
Au vu des taux d’usage de ces médicaments, un français sur 4 je vous le rappelle, force est de constater que mon observation empirique est plutôt juste.
Un premier facteur pouvant influer sur la consommation à long terme est la grande difficulté posée par le sevrage, très difficile, dont les effets ont longtemps été sous estimés par la recherche. Si la doctrine académique officielle parlait historiquement de symptômes de sevrage “légers” pendant “une à deux semaines”, de récentes études (menées notamment par James Davies et John Read des universités de Roehampton et d'East London) appellent à une mise à jour urgente de ce discours, démontrant notamment que quasi 1/2 des sondés reportaient des syndrômes de sevrage “de la plus haute sévérité “jusqu’à plusieurs mois après l’arrêt du traitement.
“De la plus haute sévérité”, vous avez bien lu. En général, ce sont des termes que l’on retrouve plutôt à côté de substances comme l’héroïne ou encore la meth. Food for thoughts.
En prenant du recul, on peut aussi et surtout s’interroger sur la pertinence d’un traitement qui in fine ne semble pas soigner, puisqu’il doit être consommé en continu.
Mais peut-être suis-je mauvaise langue ? Peut-être est-ce de la prévention ? Un traitement chronique ?
J’aimerais que vous ayez raison, mais une simple consultation du VIDAL (schéma disponible ci dessous, extrait de la section “troubles anxieux”) ou de toute autre consigne médicale au sujet des psychotropes montre qu’ils ont à l’origine été pensés pour des usages “brefs”, qui n’étaient en tout cas pas supposés durer plus de quelques mois.
Alors à qui la faute ?
Les médecins seraient des cibles faciles, car il convient de rappeler que dans de nombreux pays dont la France, la majorité des psychotropes - anti dépresseurs comme anti anxiolytiques - peuvent être prescrits par un généraliste.
Sans consultation préalable devant un psychiatre et/ou un psychologue donc. Au regard de la puissance de ces substances et de leurs conséquences potentielles sur la vie des patients, on comprend aisément pourquoi pareille prescription ne saurait être prise à la légère.
Problème : la réalité du terrain, c’est que ces prescriptions arrivent généralement à la suite d’un rapide entretien de 20 minutes, parfois en téléconsultation. Ajoutez à cela le quotidien pressurisé des professionnels de santé, et vous obtiendrez un cocktail plutôt explosif.
Je ne blâme pas les médecins, je suis convaincue qu’ils essayent, dans la majorité des cas, de faire de leur mieux. Je ne peux toutefois que m’interroger sur le contexte de prescription de ces substances, qui pour être utilisées de façon sécuritaire nécessiteraient probablement une formation accrue, et un temps de suivi dont les médecins même les mieux intentionnés ne disposent probablement pas.
A cela s’ajoute la frénésie des rendez vous qui s'enchaînent, et les formations principalement financées par l’industrie pharmaceutique elle même, qui ne doivent pas nécessairement aider à la prise de recul.
J’ai moi même fait l’expérience de ce système il y a quelques années, alors que j’avais fait part à mon médecin de sautes d’humeur non caractéristiques en fin de cycle menstruel. Ma question était plutôt posée sur l’axe de la curiosité, symptomatique par ailleurs du faible niveau de connaissance des femmes de leur propre corps, si tristement caractéristique de notre époque (vous pouvez penser qu’il s’agit là d’un tout autre sujet, mais en fait pas vraiment. Vous allez voir).
Quelle ne fut pas ma surprise de voir le praticien flegmatique me proposer une ordonnance de Lexomil ?
Cette anecdote m’a mise en colère, et est d’ailleurs l’une des raisons qui m’ont poussées à démarrer les recherches qui ont entre autres débouché sur cette newsletter. J’étais toutefois loin à l’époque de me douter que ma révolte n’allait cesser d’emplir, et que la mésaventure que j’avais vécue était en réalité l’arbre qui cachait la forêt, véritable symptôme d’un phénomène beaucoup plus grand.
Les faits sont là. A y regarder de plus près, ⅔ des prescriptions de psychotropes concernent… des femmes. L’écart est d’autant plus important que l’âge augmente, notamment à des âges qui coïncident surprenamment avec la ménopause, vectrice de nombreux bouleversements hormonaux qui affectent l’humeur.
Cela pourrait n’être qu’un fait sociologique, si toutefois cette dernière ne s’inscrivait pas dans une logique de “pathologisation du corps féminin”. Ce concept, développé à la suite de Foucault par la chercheuse Catherine Mavrikakis dans son article “Les visages de l’antidépresseur - pathologisation du corps féminin”, montre entre autres comment l’industrie pharmaceutique s’est attachée à rendre “pathologiques” des traits naturels et biologiques du corps féminin comme le syndrôme pré menstruel, les règles en soi ou encore la ménopause.
Et, qui dit pathologie dit traitement : voilà un marché plutôt large et sympathique puisqu’il concerne peu ou prou 50% de l’humanité sans exception.
Il n’est d’ailleurs pas surprenant de constater que la majorité des publicités pour antidépresseurs aux Etats Unis mettent en scène des femmes, à l’image des clichés ci dessous.
Cette instrumentalisation du corps des femmes me révolte, d’abord parce qu’elle perpétue un raisonnement trop bien connu selon lequel tout ce qui vient du féminin est forcément un problème, qu’il s’agit de traiter voire de “mater”. Aussi parce que quand bien même certains symptômes méritent évidemment un traitement, on ne peut que s’interroger sur la solution “one size fits all” que sont les psychotropes à une multitude de problématiques différentes, symptomatique d’un déficit historique de la recherche sur les sujets qui touchent spécifiquement au féminin. “Donnez leur leur Lexomil, cela fera l’affaire”.
La seule structure au féminin à sortir gagnante de cette affaire, car oui, c’est une dame : c’est l’industrie pharmaceutique. Les faits parlent d’eux mêmes : les ventes d’antidépresseurs ont été multipliées par 6 en 20 ans, quand les ventes de médicaments avaient seulement progressé à x2.
Voilà un business pour le moins florissant, dont le caractère pour le moins récurrent (captif ?) de la demande ferait se damner tout investisseur ou économiste aguerri. Economiquement, c’est triste à dire, nous disposons ici d’un “excellent produit”.
L’industrie pharmaceutique, probablement débordée par le succès de son “enfant miracle”, a donc naturellement peu d’intérêts à s’en passer, surtout lorsque les alternatives étudiées notamment dans le cadre des recherches sur les psychédéliques impliquent des protocoles à durée très brève.
Mais ça, on en parle au prochain épisode de Salve, il faudra être patient.e !
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Les antidépresseurs sont tellement devenu légion, que même les vétérinaires en prescrivent aux animaux.
De mon point de vue, la voie médicamenteuse est une solution passive - et "la plus simple" - pour résoudre ses problèmes alors que la vraie réponse est un travail de fond ; avec un psychothérapeute / psychanalyste. Mais bon ! Ce n'est pas ancré dans les mœurs encore, même si les gens en prennent davantage conscience.