Aïe, le verdict est tombé : Salve n’est plus cool.
Et pour tout vous dire, c’est tant mieux !
Depuis que nous avons entrepris d’écrire sur les psychédéliques, notre perception par nos pairs a oscillé selon les cercles entre deux extrêmes.
Pour les uns, nous étions des fous du village, un tant soit peu illuminés, à qui ce délire “allait bien finir par passer”.
Pour d’autres, nous avions (ou voulions nous donner) des airs de “cool kids”, ou étions tout simplement dans une version moins glorifiée des “bobos en quête de sensation fortes”.
Quoiqu’il en soit et quel que soit votre camp, l’heure de la sentence a sonnée.
Je suis au regret de vous annoncer que nous sommes désormais tristement banals, ridiculement normaux, quasi “biens sous tout rapports”.
Le 3 Février 2023 a en effet sonné le glas de notre “coolitude” et amorcé notre descente brutale et probablement irréversible vers la plus ennuyeuse absence de distinction.
Cela faisait quelque temps que nous le prédisions dans Salve - quitte à faire lever les yeux des sceptiques.
Mais le jour de gloire est arrivé pour la psilocybine, qui est devenue LEGALE en Australie.
Vous avez bien lu : depuis le 3 Février 2023, l’Australie est devenue le premier pays à légaliser l’usage des psychédéliques (plus précisément de la psilocybine et de la MDMA) à des fins thérapeutiques.
Nous tenons ici une révolution.
Si nous avions déjà pu observer des premiers mouvements réglementaires favorables aux psychédéliques dans certains états des Etats Unis (au Colorado et en Oregon notamment) ou au Canada, l’Australie est le premier état à octroyer officiellement à la psilocybine et à la MDMA le statut de médicament.
Médicament, vous avez bien lu.
Quelle formidable ascension sociale pour des substances pendant longtemps cantonnées à la rue, aux fonds de poches ou aux endroits sombres des clubs ? Voilà une progression dans l’échelle sociale qui ferait se damner les plus grands sociologues.
Mais qu’est ce que cela veut dire concrètement ?
Très pragmatiquement, l’Australie a choisi de rendre légal l’usage de la psilocybine et de la MDMA par des professionnels de santé dans le cadre de traitements pour des patients souffrants de troubles dépressifs ou post traumatiques.
Ces recommandations d’usage s'inscrivent dans la continuité des recherches menées de par le monde, et notamment aux USA, en Suisse ou plus récemment en France sur le sujet.
Cette nouvelle est un vent d’espoir fantastique pour tous ceux qui souffrent de troubles anxieux ou dépressifs (rappelons qu’un quart de nos concitoyens dispose d'une prescription active de psychotropes). C’est aussi une juste reconnaissance pour ces chercheurs “fous”, pour ces “illuminés”, pour ces “hippies” qui n’ont jamais posé le stylo, même lorsque choisir le champ de recherche des psychédéliques était synonyme de carrière sacrifiée, faute de financements et de reconnaissance.
C’est un message d’espérance pour tous ceux qui choisissent de placer la vérité au dessus de la gloire, et ce même lorsqu’avoir raison vous attire rejets et regards en coin.
Sans sombrer dans un style grandiloquent directement inspiré des citations que l’on trouve sur les tisanes ayurvédiques, rappelez vous, chers lecteurs, que beaucoup de ceux qui ont fini par avoir raison ont un jour été des “fous du village”.
Mais revenons à nos propos, et à l’Australie.
Concrètement, pourra-t-on bientôt acheter des champignons magiques dans les rues de Sydney ? Verra t-on bientôt des smoothies à la psilocybine fleurir sur les cartes de Bondi Beach ? Sera t’il bientôt possible d’acheter des compléments alimentaires à la psilocybine dans les parapharmacies ?
Patience papillon : à date, rien de tout cela ! Et c’est d’ailleurs tant mieux : la pire chose qui pourrait arriver aux psychédéliques, ce serait justement une légalisation trop rapide, non contrôlée qui aurait tôt fait de déboucher sur un vent de panique… et un probable retour en arrière !
Prudente, l’Australie a choisi de s’inspirer de sa politique de 2016 sur le Cannabis et de circoncire à date l’autorisation de la psilocybine et de la MDMA à un usage sous supervision et à des fins médicales.
Comprendre : ces traitements ne pourront être utilisés que dans le cadre d’une thérapie, sous la prescription et la supervision d’un professionnel de la santé mentale.
Problème : encore faut-il que les praticiens soient formés aux méthodologies associées à ces thérapies, ces dernières étant à date cantonnées aux rares expérimentations universitaires ou à la sous culture alternative ou indigène (rappelons en effet que nous n’avons comme souvent rien inventé, les cultures indigènes ayant recours aux psychédéliques depuis des millénaires, mais c’est là un autre sujet).
Ce déficit de professionnels formés devrait donc être un frein dans l’accès aux traitements, en tout cas dans un premier temps. Ce problème n’est toutefois pas nouveau, puisqu’il fut également rencontré lors de la légalisation récente du Cannabis, ou plus récemment en Oregon où l’usage de la psilocybine n’est lui aussi autorisé que dans des “licensed centers”.
Encore faut il qu’il y ait des “licensed centers”, et en nombre suffisant me direz vous - et c’est précisément ce à quoi s’emploie le gouvernement de l’Oregon.
Pour vous montrer de façon concrète à quoi ressemble le “nouveau monde psychédélique”, rendez vous ici sur la page du gouvernement (oui oui) qui permet aux centres de postuler pour être habilités à délivrer des thérapies par la psilocybine.
On a vu plus underground.
Toutefois, nous serions bien mal avisés de nous montrer impatients quant aux délais initiaux : le vent souffle dans la bonne direction, et il faut laisser le temps à l’écosystème nécessaire à l’administration de soins de qualité de se constituer.
Une révolution pour tous ?
Notons toutefois qu’à date ces traitements ne seront pas remboursés par une quelconque couverture médicale, et ne seront de ce fait accessibles que pour une partie aisée de la population (comptez entre plusieurs centaines de dollars, voire des milliers pour une thérapie assistée par la psilocybine).
Cela est d’autant plus dommageable que les troubles dépressifs ou anxieux ont des taux d’incidence particulièrement élevés chez les ménages les plus modestes, comme le montre un article publié en décembre 2020 dans la revue scientifique Science.
«Les personnes aux revenus les plus bas ont en effet entre 1,5 et 3 fois plus de risque de souffrir de dépression, d'anxiété ou de problèmes de santé mentale communs que les personnes les plus riches».
Il conviendra donc de s’attacher à ce que cette révolution psychédélique ne demeure pas cantonnée aux élites, en militant pour les insérer dans des schémas d’accès aux soins démocratiques.
Cette question est centrale si l’on souhaite faire de la révolution psychédélique autre chose qu’une discussion de comptoir entre personnes déjà très hautes dans la pyramide de Maslow, et soulève en creux des interrogations fondamentales.
Les soins assistés par les psychédéliques ont en effet ceci de particulier qu’ils ne se limitent en général pas à une simple “prise médicamenteuse”, mais s’accompagnent d’une véritable thérapie complémentaire.
Le psychédélique est un outil, un catalyseur du protocole thérapeutique, mais est loin d’en constituer l’intégralité, ou de pouvoir remplacer la médiation du professionnel.
Cela sous-entend donc de prendre en charge des frais de soins qui dépassent le médicament en soi, pour couvrir l’intégralité du dispositif et notamment l’intervention du professionnel. Cela représente un pas de côté vis-à-vis des logiques de remboursement classiques, généralement plutôt centrées autour d’une tradition de paiement du médicament seul.
Ceci sous entendra en aval une évolution des logiques économiques liées au traitement de la dépression, en basculant d’une logique “médicamenteuse” (remboursement d’anti dépresseurs par exemple) à une logique plus plurielle, où le coût représenté par la thérapie et le suivi se mêle à celui de la substance en tant que telle.
Cela soulève au moins deux questions, sur lesquelles je vous laisse méditer en ouverture :
Se pose tout d’abord le sujet du manque à gagner potentiel pour l’industrie pharmaceutique, pour qui les antidépresseurs sont des lignes de revenus imposantes (et récurrentes)... On pourrait même s’aventurer à parler de rentes ! Quelle réaction attendre ici si une prise en charge des thérapies psychédéliques venait à généraliser leur usage, réduisant de facto le marché adressable des anti dépresseurs ?
Il faut également s’interroger sur le sujet du coût des traitements. Les protocoles impliquant à date la médiation d’un thérapeute, leur coût (en tout cas à court terme) est supérieur à celui l’administration d’un médicament, en particulier lorsque ce dernier est produit à grand échelle comme cela est le cas pour la majorité des psychotropes. Toutefois, le sens du débat change radicalement lorsque l’on s’intéresse au coût total (ou long terme) du traitement. En effet, les protocoles assistés par les psychédéliques démontrant souvent des résultats durables dès l’issue de la première thérapie, l’espoir est permis pour que ces protocoles s’avèrent in fine plus économiques qu’une consommation prolongée (infinie ?) de psychotropes. Cerise sur le gâteau : cela pourrait même une bonne nouvelle pour le financement de nos systèmes de santé en général, ces derniers étant déficitaires et déséquilibrés dans de nombreuses économies développées;
Qui l’eut cru : les psychédéliques pourraient-ils résorber le fameux “trou de la sécu” ? L’idée n’est à bien y regarder finalement pas si fantasque…
Instructif !